Crise de développement et crise migratoire


L’immigration, un mode de survie universel.

L’immigration a toujours existé et était contenue ou affrontée par les politiques de chaque pays. Une des plus grandes que la Grèce a connue c’était en 1922, lorsque la Grèce s’est montrée inapte à protéger ses populations de l’Asie Mineure et les Turcs les ont littéralement jetées à la mer, comme on voit sur la photo ci-contre.

Pourquoi envisager une politique commune européenne et quels seraient les bienfaits éventuels ?

La crise migratoire a commencé en 2010, et ce n’est pas par hasard. La crise économique mondiale de 2009 a déstructuré bon nombre de pays, notamment en Afrique, au proche et Moyen Orient, au Sud d’Asie, mais aussi en Europe, dont les Balkans. Le regard vise le symptôme et non la cause, le migrant et non le désert économique dans lequel l’a poussé la crise de 2009, et ceci à un point où on oublie les vagues migratoires internes à l’UE, qui ont vidé de leur potentiel productif, l’Italie, L’Espagne, la Grèce, la Pologne, ….. Du pain béni pour les industries du Nord qui en ont fortement besoin, et en ont profité, pour maintenir leur capacité de production.

L’économie européenne est à la peine.

Les tensions géopolitiques ne cessent de s’accumuler, alors que la récession économique européenne est arrivée, sans que l’UE ne se décide à mobiliser ses marges de manœuvre, notamment budgétaires, pour y faire face. Pour faire bref, l’Allemagne entre en récession, après une régression économique de plusieurs mois, et les Etats-Unis vont certainement la suivre.  Les crises politiques italienne et espagnole s’aggravent. La guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis se poursuit.

Dans un tel contexte, coronavirus mis à part, l’UE continue sa guerre interne pour le leadership et la France n’arrive pas à convaincre l’Allemagne pour une politique commune de l’euro qui devient un mark un peu plus faible chaque jour. Puis, elle nous laisse à croire, grâce au règlement "Dublin III" et quelques murs érigés par-ci et par-là, que le phénomène de l’immigration est mineur.  

Pourtant, la relance économique et de l’appareil de production européen passait bien par un afflux massif de main-d’œuvre : Plus de vingt millions en Italie et encore autant en France et en Allemagne, soit un besoin minimal de soixante millions d’immigrés qualifiés, sans compter les besoins indirects dans les secteurs de la santé, de l’agriculture, de la transformation….. Nous ne devons pas oublier donc le motif qui est à l’origine de ces vagues migratoires initiées par ces mêmes pays européens. Nous devons anticiper ce qui va se passer pour les pays « portes d’entrée » si les pays principaux d’accueil, Allemagne, pays scandinaves, France, arrêtent d’en accepter. Pour donner une idée de l’impact du phénomène, rien qu’en Grèce, il existe une cinquantaine de centres de rétention, construits à la hâte. L'État grec construit actuellement encore une autre cinquantaine de tes centres, plus grands et plus équipés, pour une capacité d'environ cent mille personnes, mais où est la fin de cette entreprise ?

Comment dire aux européens qu’ils ont tort d’abandonner leurs activités traditionnelles au profit du confort ou du meilleur revenu ? Comment leur dire qu’ils sont de moins en moins productifs selon les indicateurs économiques ?

Le discours politique, suite aux vagues migratoires, on le connaît. Non seulement il ne vise pas l’adhésion des peuples européens vers le renouveau économique et industriel, mais il le désoriente en stigmatisant les réfugiés, « clandestins » ou non, souvent en pointant sur le pays d’origine, les risques sanitaires, la diversité culturelle, le coût de la prise en charge, etc. Que du négatif….

 

Le vœu de « Open Borders » des Nations Unies

L’ordre international dirigé par l’ONU est principalement consacré à la protection de la « sainteté » des frontières contre les invasions étrangères, ou, dans une moindre mesure, l’ingérence.

L’hégémonie universelle du modèle de l’État-nation occidental, victoire historique majeure pour les hommes d’État, en particulier les anglo-américains qui ont construit d’abord la Société des Nations, puis les Nations Unies, et qui ont réussi à établir un monde d’après-guerre, a conduit à un ordre conforme à leur vision idéologique de la façon dont l’humanité devrait être politiquement organisée. C’est le principe de l’autodétermination nationale, en tant que Nation et aussi en tant qu’Etat.

Le monde n’a certainement pas été organisé sur la base de l’autodétermination nationale en 1914. D’une part, il y avait une grande liberté de migration, et sauf danger sanitaire, il était possible pour la plupart des gens de migrer vers et hors des principaux pays du monde sans passeport ni visa. La majeure partie de la Terre à cette époque n’était pas gouvernée par des États-nations, mais par de grands empires. Parmi eux, il y avait les empires dynastiques, dont l’empire des Habsbourg et l’empire tsariste de Romanov, régnant sur les grands territoires débarqués contenant des peuples ethniquement variés tous soumis au même monarque, la Chine ou l’Empire Ottoman. Aussi, les empires coloniaux, qui refusent le terme dynastique, les principaux exemples étant les empires britannique, français et néerlandais, bien que les empires portugais et espagnol, dissous bien avant 1914, aient contribué à établir le modèle de ce type de colonialisme. Le monde que nous connaissons actuellement, est surtout le fruit des guerres et consensus du siècle dernier, une période très courte dans l’échelle de l’Histoire de l’humanité pour légitimer la xénophobie, le racisme ou encore le retour vers une version révisée des empires d’antan.

Le principe de « Open Borders », sans doute la recommandation mais aussi l’orientation la plus globale jamais émise, appelle à la réorganisation géopolitique du monde, selon le principe de Woodrow Wilson. Combien de pays, notamment en Europe sont-ils prêts à franchir le pas dans ce sens et surtout quand pensent-ils être prêts pour cela ? Combien de pays sont prêts à abandonner leur autodétermination et souveraineté nationales et se réorganiser autrement, surtout en absence de vision politique ? L’Europe a échoué à montrer le chemin, ne pouvant même pas contenir ses membres à ériger des murs de béton ou militaires ou douaniers. Même les Américains, qui n’ont jamais été une nation dans le même sens que les nations dont elle soutient l’autodétermination, lors de leurs interventions extérieures, ont toujours voulu réorganiser le monde, certes à leur façon, mais suivant leur propre modèle politique, c’est-à-dire avant tout avec des frontières. Les frontières appellent au territoire et au peuple, c’est-à-dire le sens historique de la définition d’une Nation.

Si pour l’heure, les États ne semblent pas ébranlés par les flux migratoires, cependant il est à croire qu’ils seront précipités à se redéfinir en tant qu’organisation politique, condition sine qua non pour des fondements permettant les perspectives socio-économiques nécessaires pour le long terme. Les crises fréquentes sonnent l’alarme.

Clandestins ou légaux ?

Ce qui fait qu’un migrant est clandestin ou pas, c’est son approbation par un « pays d’accueil ». Devant le flou juridique, ou plutôt, afin de se passer des difficultés à contourner les législations nationales en la matière, au début avec le Traité d’Amsterdam, en 1997, l’UE a entrepris un « espace de liberté, de sécurité et de justice », ébauchant le principe d'une coopération judiciaire ..... C’était le début du désarmement des États face aux premières vagues migratoires significatives. Puis, l’UE a procédé depuis 2014 à la conclusion d’un compromis, appelé « Règlement de Dublin » connu dans son évolution depuis, sous les noms « Dublin I », « Dublin II », « Dublin III » et bientôt, il faut l’espérer, « Dublin IV ».

Le règlement de Dublin III permet de déterminer l'État responsable de l'examen de la demande d'asile de l'étranger qui entre dans le territoire de l'UE. C’est ce règlement qui devrait être la base juridique mais tous les pays européens ne le respectent pas, en tout cas ils font le nécessaire, et pour cause, de montrer ses failles et faiblesses. Brièvement, le règlement dit que chaque pays et chaque migrant doivent se conformer à des règles. Les pays d’entrée doivent « contenir » les arrivants selon certaines règles et leur offrir le nécessaire jusqu’à ce qu’un pays d’accueil se décide à les accueillir après tris. Les migrants doivent déclarer le pays de destination, et en cas de refus de celui-ci pour les accueillir, ils doivent rentrer dans leur pays d’origine. Dublin III est critiqué car les réfugiés qui atteignent l'Europe ne souhaitent pas rester dans les pays qui sont portes d'entrée, comme l'Italie ou la Grèce, mais ils s’orientent plutôt vers l'Allemagne, la Suède ou l’Angleterre où les perspectives économiques sont bien meilleures. Dublin III fait peser sur les pays d'entrée toute la charge de l'accueil et de la prise en charge des réfugiés.

Dublin IV n’est pas pour demain, malgré l’insistance des pays d’accueil pour accélérer sa conclusion et application. Ce nouveau règlement réparerait, en théorie, les failles.

Il s’agit de renforcer les mesures existantes contre l’« asile à la carte »  ou « asylum shopping ». Le but est de priver les demandeurs de la possibilité de choisir leur pays d’accueil ou même de demander l’asile dans plusieurs pays européens à la fois. L’examen de leurs demandes continue à être à la charge du pays "porte d'entrée". Il s’agit de donner la possibilité aux pays européens de définir ce qu’est un pays tier « sûr », qui ne représente pas une menace pour ces citoyens, et de ce fait de refuser d’emblée un migrant qui demande l'asile politique, venant de ce pays.

Il s’agit de partager le « fardeau », ‘burden sharing’ dans le jargon d’usage, et l’UE propose une répartition des demandeurs d’asile, en cas de « trop forte pression sur un État membre », comme ce fut le cas sur la Grèce et l’Italie en 2016-2017. Un plan de relocalisation de 160 000 migrants avait été mis en place dans l’urgence à titre dérogatoire, mais cette mesure n’est pas clairement inscrite dans les textes, comme il n’y a pas mention qui permet à un état saturé par le « fardeau » de déclencher une procédure commune. Il y a besoin aujourd’hui de relocaliser encore autant de demandeurs d’asyle afin de décharger la Grèce.

Frontex

Créée en 2002, cette Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, ou Frontex, est chargée de la sécurité et les frontières extérieures de l’Union européenne. Elle siège à Varsovie et est responsable de la coordination des activités des garde-frontières. Depuis 2007, la Frontex effectue des patrouilles maritimes et organise des patrouilles conjointes avec d’autres pays du pourtour méditerranéen. Son efficacité est quasi-nulle.

La législation grecque

Depuis 2009, la législation nationale grecque a connu des fluctuations importantes en matière de répression de l’immigration clandestine et de criminalisation du trafic des migrants, mais avec peu d’effet. La source du problème migratoire vers la Grèce se trouve en Turquie, qui sous la déroute économique, se débat pour se faire entendre en organisant les vagues migratoires vers la Grèce.

En Janvier dernier, le gouvernement grec a étendu la liste de pays considérés « sûrs », d’origine et dont les ressortissants ne sont donc pas appelés à demander l’asile en Grèce, conformément à l’article 87 de la nouvelle loi sur l’asile de 2019. Il s’agit du Ghana, du Sénégal, du Togo, de la Gambie, du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de l’Albanie, de la Géorgie, de l’Ukraine, de l’Inde et de l’Arménie, mais la plupart des migrants sont d’origine afghane, pakistanaise, turque, géorgienne, indienne, et sud-asiatique. Il y a très peu de ressortissants Syriens.

Mettre ou non la Turquie dans les "pays sûrs" ?

C’est là justement le retard pour l’application du Dublin IV. La querelle est très vive car la Commission Européenne propose que la Turquie figure parmi cette liste, et nombre de parlementaires estiment que le régime politique turc ne garantit pas un niveau de protection nécessaire.

Il y a aussi beaucoup de pays, comme la Hongrie et la Pologne, l’Autriche qui refusent le système de répartition des demandeurs d’asile, et même s’ils acceptent le compromis, ils feront la résistance du zèle.

Le règlement de Dublin a été déclaré caduc à de nombreuses reprises et il a fait la preuve de ses dysfonctionnements dès ses origines. La répartition des responsabilités entre pays européens, qui n’a pas abouti à des résultats concrets pour éviter d’amasser les réfugiés en pays périphériques (même accusation que pour le Traité d’Amsterdam) et celle de « l’asylum shopping », où les pays centraux (France, Allemagne, Hollande, Belgique, Luxembourg) font leur shopping en  migrants, en choisissant le profil et le nombre qui les intéressent. Cependant, les procédures et les transferts ‘Dublin III’  sont toujours en vigueur. Nous devons noter ici, que 42% des réfugiés arrivant en Grèce sont analphabètes et que  70% d’entre-eux sont sans qualification professionnelle ou qui ne travaillent pas.

Droits de l’homme vs droit communautaire

Cette dernière décennie la remise en cause des souverainetés a souvent provoqué des dysfonctionnements de coopération. Il a été extrêmement difficile de discuter procédures, mesures pratiques de mise en œuvre ou encore de compatibilité juridique avec le droit international, notamment la sauvegarde des droits fondamentaux. On dirait que les délais au nom de la conception et de l’étude d’améliorations, visent plus à donner du temps aux pays centraux, plutôt qu’à améliorer les conditions des migrants et redistribuer la charge des pays périphériques (ou pays d’entrée). En absence d’autres alternatives, Dublin III reste encore très vivant, mais incontestablement il n’est pas conçu pour affronter des flux de migrants au-delà de deux ou trois milles par jour et pour toute l’Europe. C’est le rythme d’arrivées du 24 Février – 1er  Mars pour la Grèce, qui a enregistré ce chiffre rien que pour ces iles du Nord de la mer Egée. Logiquement la Grèce doit être aidée pour redistribuer cette charge vers les autres pays européens et ceci dans des proportions convenues.

Cela fait quatre ans que l’UE discute sur la rationalisation des règles de Dublin III et sur la possibilité de créer une Agence Européenne pour l'Asile, en respect avec la CEDH et la Convention de Genève. Entre temps, la Grèce multiplie la construction de centres d’accueil, assure la prise en charge et se conforme au règlement de Dublin, de « sélection », comme on voit sur la carte. Il y a encore une quarantaine de centres prévus dans l'urgence et dont la construction a commencé dans les iles de la mer Egée, pour désencombrer les centres surpeuplés et d'autres viendront pour faire face à l’augmentation des arrivants.

D’un certain point de vue c’est déjà l’échec des politiques européennes communes, ou le succès des politiques des pays centraux !

 A.A.