Un arbre qui cache la forêt

Avec l’arriver du coronavirus, et face aux urgences, les Etats européens ont « bénéficieé » d’un degré de liberté, pour agir et s’adapter à la menace virale. Un pourcentage de leur PIB, sous forme de nouvelle dette, leur permettrait de faire face à leurs besoins pour budgétiser des nouvelles dépenses liées ou annexées à la gestion ou à l’impact de coronavirus. En somme, 540 Milliards ont été accordés, sous trois titres distincts, à rappeler, le chômage partiel pour les Etats qui n’ont pas les moyens, soit 100 Milliards, des prêts directs aux entreprises, à travers la banque européenne d’investissement (BEI), soit 200 Milliards, et 240 Milliards pour les dépenses de santé à travers le Mécanisme Européen de Sécurité (MES), qui avait été créé pendant la crise de 2008 – 2014, pour aider les pays en crise financière, dont la Grèce.

540 Milliards, voilà la mesure, alors que Lagarde avait annoncé deux semaines auparavant 750 Milliards. La présidente de la BCE est revenue sur les médias il y a trois jours pour plaider un alignement des politiques budgétaire et monétaire des pays européens, avec un traitement égal face à la crise sanitaire. C’est encore plus loin des 3 Trilliards annoncés par Lagarde pour la relance économique européenne.

Pourquoi a-t-il fallu réunir l’Eurogroupe pour des décisions simples en accord avec le traité de Maastricht , qui fixe les obligations communautaires relatives à la solidarité entre Etats-membres ? Pourquoi utiliser la logique de la gestion des finances, que nous reconnaissons à travers ses traits doctrinaux, comme nous les avons vu appliqués par Schäuble lors de la crise de 2008 ? C’est que la solidarité, ou plutôt l’interprétation du Traité de Maastricht est vue à travers les intérêts financiers du club des 4 et de leurs soutiens. Les 4 sont l’Allemagne, la Hollande, l’Autriche et la Finlande.

La raison est que la chute de l’économie ne vient pas avec le coronavirus. La crise économique, que le virus occulte malgré-lui, est plus ancienne, et nous pourrions la situer environ 2 ans avant, vers début 2018. Les problèmes d’export de l’Allemagne, les problèmes de la Deutsche Bank, la morosité du système bancaire européen et ses difficultés de liquidités, la baisse de productivité en Europe qui continue à perdre du terrain face aux pays emergeants, la parité de l’euro face aux différentes monnaies, n’étaient pas que des simples signes de faiblesse mais des annonces fortes d’une situation qu’allait perdurer qu’il faudrait affronter.

Mais, lorsque c’est un pays du Sud qui va mal on crie au scandale, souvenez-vous des PIGS. Lorsque c’est l’Allemagne qui va mal il faut se taire, et il faut se montrer solidaire, comme en 1953 et en 1992.

Mais le problème est là, omniprésent, qui montre qu’il y a deux conceptions majeures de l’Europe et deux façons de voir les problèmes et leurs solutions.

Donc, « Pas question d’aller plus loin – et en particulier d’émettre de la dette en commun », ou « Pas de refonte des lignes de budget européennes des années à venir ».

Lors des réunions de l’Eurogroupe, la semaine dernière les différents camps se sont affrontés pendant des heures et des heures, mais plus pour se donner du genre que pour changer les choses. Les choses ne changent pas avec l’Allemagne au gouvernail économique, ni avec la France dont le but n’est qu’une compromission lui procurant une atténuation des effets de la gestion économique de l’Europe. La déclaration triomphante qui a suivie, fait passer une simple gestion d’un mal économique « précaire » sous l’apparence d’une avancée majeure au titre de la solidarité « contre la crise sanitaire ».

Comment est-on arrivé là ?

L’Allemagne et la Hollande, les défenseurs les plus ardents du statu quo, était ouverts à l’idée d’un plan d’aide, certes « à la carte », pour répondre aux besoins de chaque pays, mais il le voulait à l’image de ce qui avait été fait en 2012 pour la Grèce, c’est-à-dire assorti des mesures de garantie et de supervision. Donc assorti des memoranda, programmes d’économies budgétaires et réformes, dites structurelles. Donc un prêt remboursable.

L’idée de l’émission d’une dette européenne n’est pas nouvelle, mais les visionnaires parmi les spécialistes, qui ont vu la nécessité d’une gestion centrale et globale des dettes des pays à travers des émissions d’obligations européennes, ou Eurobonds, a été scrupuleusement et systématiquement repoussée par l’Allemagne et ses acolytes. Même en pleine crise de coronavirus, la question a été replacée au sein des discussions de l’Eurogroupe, mais on pourra observer qu’il y a aucune mention dans les déclarations officielles, comme s’il y avait une entente cordiale. Or, occulter par des politiques de communication un problème persistant, cela va de pair avec l’Europe portant l’uniforme nazi. L’hubris arrive à son apogée avec l’emploi du terme « Coronabonds » pour ridiculiser les pays favorables aux Eurobonds.  Peut être en remplaçant le chef de file de ces pays, la France en l’occurrence, par un pays qui a les moyens de secouer les logiques établies, comme l’Italie ou l’Espagne.  

Refuser de voir que emprunter en euros c’est emprunter en une monnaie étrangère, c’est ne pas vouloir voir les failles de l’union monétaire. Mieux encore, une union ainsi faite, n’est pas une union mais un asservissement des pays en manque de financement, au profit des pays qui bénéficient à un instant donné d’un excédent financier. Appelons les premiers pays pauvres, ou pays du Nord et les autres, pays du Sud ou pays pauvres, pour donner une image des tensions qui règnent au sein de la famille européenne.

Le 2% du PIB accordé à chaque pays ( plus on est touché par la crise et on voit son PIB s'effondre, moins le 2% parait être une réponse à la situation. D'autant que les pays, comme la Grèce, qui ont vu leur système de santé s'effondre, ils ont plus de besoins pour faire face à la crise sanitaire. Ses besoins pour retrouver le personnel licencié ou laissé partir pendant depuis 2017, au nom des réformes structurelles exigées par les créanciers, dépassent largement le petit quota de 2%, qui équivaut environ 3,5 milliards,  mais ces considérations peuvent paraître bannies dans un cadre de fonctionnement aux doctrines économiques ultra-libérales. La Grèce n'a donc rien à attendre de ces mesures, qu'elle paiera très cher, ni de l'Europe à la logique de l'Allemagne.

C’est pour cela qu’il faut entendre autrement le « l’Union est au rendez-vous », exclamé et applaudi à l’issue du dernier sommet de l’Eurogroupe. A croire qu’il n’y a pas le force (volonté ?) pour changer l’Europe, et les pays du Sud, affaiblis économiquement n’ont pas la force pour sortir.

L’Europe n’est pas sortie de la crise financière, et l’accord conclu à la dernière réunion de l’Eurogroupe, très précaire à la forme d’un rafistolage politique, sera avalisé rapidement par le conseil des ministres européens (ECOFIN).

Mais l’UE est-elle à l’abri d’une nouvelle crise ? Non, si on croit à la confiance donnée aux estimations pour la reprise économique ou pour la gestion de la crise sanitaire. Il suffit que quelques écarts se réalisent, pour que toutes les réponses de rafistolage volent en éclats, face à la crise multiple qui se cache derrière l’apparence d’une épidémie de virus.

A.A.