Jeux et conflits

Un champ de bataille bien cadré….

S’agit de désigner les camps opposés, on va dire que la Turquie bénéficie du support de deux acteurs majeurs, de la Russie, qui essaient de se placer en Méditerranée et exploiter son influence en Syrie, et des USA qui essaie de remettre la Turquie dans le camp des alliés, dont l’OTAN. La Grèce, quant à elle, même si elle a toujours choisi la voie du droit international et les règles européennes, et devrait à ce titre bénéficier de l’appui de ses partenaires européens, ne comptabilise que l’appui clair de la France, et celui de l’Autriche, qui sert souvent de porte parole alternatif allemand. L’Union Européenne n’ayant pas des mécanismes puissants pour s’exprimer sans les accords des Etats-membres, hésite de prendre position dans le conflit gréco-turc et parfois ses communiqués jettent des ambiguïtés sur la souveraineté grecque sur ses propres iles.

 

Déclinaison politique et Intérêts électoraux

Y aura-t-il une guerre, c’est-à-dire un conflit armé ? Lorsque la diplomatie cesse, tout est possible, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

Merkel souhaite la médiation, et elle l’a proposée. Elle a besoin de la Turquie, ses investissements sont exposés à la chute de l’économie turque, même si en apparence elle montre plutôt une action en faveur de son parti politique et sa progression dans les sondages.

Poutine a proposé aussi de réunir la Grèce, Chypre et la Turquie autour d’une table.  Les investissements russes dans un paradis fiscal tel que Chypre ont leur importance, mais il faudra qu’il prenne position sur l’occupation de la partie nord de l’ile par les turques. Il a tardé de considérer l’ile comme une base parallèle pour le contrôle des évènements au Liban et en Syrie.

Trump est sans doute celui que la Turquie va préférer si une médiation a lieu. Le retrait des américains de cette partie de la méditerranée a attisé les antagonismes des pays locaux mais aussi a ouvert le chemin aux autres grandes puissances pour leur succéder. La Turquie est aussi un pays membre de l’Alliance Atlantique et l’OTAN quoique affaibli, a son rôle a jouer dans la construction des négociations. Les Etats-Unis pourront-ils sacrifier la Grèce pour permettre à la Turquie de rejoindre les rangs de l’Alliance ? La réponse est oui, si cela dépendait que de la décision de la Turquie de revenir dans le camp occidental. La Turquie prise en étau entre la Russie et les USA, son sort ne dépend plus d’elle. Cela suffirait-il pour que les européens abandonnent la Grèce, et de ce fait le projet européen? La réponse sera issue du bras de fer franco-allemand et sur l'Europe et sur l'Orient. Dans tous les cas de figure, le déploiement naval de la Russie au large de Lattaquié montre bien qu'elle défendra ses positions. Il reste pour les USA la réussite du projet EastMed.

Macron a proposé aussi d’organiser une table ronde en vue de faire parler la diplomatie avant de faire parler les armes. Son discours clair en faveur de la protection des frontières européennes, et donc des frontières des pays membres de l’Europe qui sont Chypre et la Grèce, lui permet de montrer une autorité, sur la lignée du leadership politique en Europe.    

La médiation étant un objet politique majeur, chacun souhaite, pour des raisons différentes au fond mais similaires en apparence, être celui qui arrive à obtenir la désescalade et à réunir la Grèce et la Turquie autour d’une table.

Economie, Energie et dépendances

En effet, sur un fond de vieux antagonismes, dont la plupart datent de la première guerre mondiale et l’armistice imparfait qui a donné naissance à ce qu’il suivi, la nouvelle ère de la mondialisation des Etats, celle en période de pénurie de ressources, les découvertes d’importantes quantités de gaz naturel au large d’Egypte, constitue les convoitises, car une des batailles des antagonistes consiste à construire le nouvel ordre aux Balkans par le biais de projets énergétiques. Ainsi l’Egypte, Israël, Chypre et la Grèce ont signé des accords de coopération pour assurer le pipeline East Med, un projet qui acheminerait à travers Chypre et Grèce, les 20 milliards de mètres cubes de gaz vers l’Italie et les Balkans (Bulgarie, Roumanie, ex-Yougoslavie…). Ce projet bloque doublement les projets de la Russie, à citer d’abord le pipeline Nord Stream, qui consiste à alimenter l’Allemagne par le nord, et contribuer de ce fait à l’émancipation politique recherché par l’Allemagne en l’aidant à reconquérir les Balkans et à trouver son indépendance énergétique loin de l’Europe, et puis, à travers sa base syrienne Lattaquié, qui lui permet une présence en Méditerranée, qui n'est pas encore active économiquement. Même si le projet East Med est environ 20 fois moins important en quantités de gaz transportées, que le projet Nord Stream, il permet cependant la connexion de plusieurs pays-clé et cette dépendance économique pèsera dans l’ordre politique futur et le contrôle de la Méditerranée.

Le conflit gréco-turc, une amorce qui fonctionne

Le conflit gréco-turc, vieux de deux cent ans, avec un historique précis et indiscutable, est donc posé sur des intérêts, que ni la Grèce ni la Turquie ne pourront changer, et sur des bras de fer qui ne fléchiront pas au nom de leurs alliances respectives.  La photo ci-contre montre les zones maritimes de l’accord turco-libyen (en noir pointillé) et l’accord gréco-égyptien en bleu. Beaucoup ont critiqué cet accord, pensant que la Grèce se délimite elle-même, mais il n’est pas ainsi. Seules les segments délimités par les points de la ligne bleue  A,B,C,D,E sont conclus, et restent modifiables, dans cette première phase des discussions. Son but était de rendre caduc l’accord turco-libyen.

  1. L’Energie : Le barrage aux projets russes en Syrie, par milices interposées, a échoué. C’est ici qu’il faut considérer le sens et la portée de l’accord turco-libyen récent relatif à la ZEE (Zone économique Exclusive) de chacun de ces pays, c’est-à-dire comme une tentative de couper en deux le projet EastMed et saboter l’initiative américaine pour la coopération dans la région. Les différents rôles de la Turquie, sont dorénavant dictés et soutenus par la Russie, nous l’avons vu en Syrie et en Libye, deux terrains d’affrontement des mêmes intérêts cités ci-dessus.
  2. Les situations internes : Le projet « néo-ottoman » et expansionniste de la Turquie n’est que l’enveloppe politique visant à reconduire au pouvoir Erdogan, et il n’a aucune substance politique sur les terrains de l'affrontement. Ceci est confirmé par la lecture des intérêts que ce soit en Libye, où la fausse manœuvre de la Turquie a provoqué le bombardement de ses bases militaires, ou en Syrie, avec le rapprochement entre Russie et Kurdes. Idem pour la menace turque de réveiller l’axe néo-islamique aux Balkans. L’ottomanisme est une époque révolue.
  3. Le marché des armes : Pour la Grèce il faut compter une enveloppe de plus de 20 milliards, qui entraînera des dépenses fortes et régulières. Il est question d’avion rafales, de frégates et des missiles, de torpilles et d'une armée supplémentaire et professionnelle de plus de 15.000 hommes. Pour la Turquie les projets de S400 russes, mais aussi des F35 américains sont encore sur la table des discussions.
  4. Les alliances : Pour le moment, les alliances les plus importantes à considérer sont celles liées à l’Europe et sa zone d’influence économique, notamment vers l’Afrique du Nord, celles de l’OTAN, organisation étêtée selon le président Macron, les alliances économiques vitales pour les pays concernées, comme celles des dépendances énergétiques (Israël-Egypte, …), financières ( Allemagne-Turquie, Espagne-Turquie, Italie-Turquie, …..), politiques (Grèce-France, Allemagne-Grèce, France-Liban, France-Syrie, …). Le Med7 ne fait que commencer pour donner à l’Europe économique une assise moins disputée et donc plus stable. La France et la Grèce, suite au rapprochement de la France avec Chypre pour une coopération militaire, sont déjà en pourparlers pour un déploiement des avions Rafale sur la base AB de Paphos, ville située à l’ouest de l’ile de Chypre.
  5. la ZEE grecque et les frontières de l’Europe : La Turquie est à l’écart du droit international pour ne pas avoir reconnu, entre autre, la convention relative de l’ONU (UNCLOS). La Turquie conteste aussi la Traité de Lauzanne qui a mis fin aux différends gréco-turcs, et dont elle demande la révision, même si cela a été fait aux dépens de la Grèce. Attendre la résolution du conflit gréco-turc, si celle-ci suit le chemin des tribunaux internationaux, peut être néfaste pour une des grandes puissances, mais aucune ne peut en ce moment accélérer les choses.
  6. L’OTAN, d'un rôle affaibli, voire ambigu, sollicité par la Turquie, pousse la Grèce au dialogue sans conditions préalables. Lorsqu’on considère les relations de l’OTAN avec les grandes puissances occidentales on voit clairement le jeu de dupes de certaines parmi elles.

 

Un statuquo qui s’annonce long

En réponse à l’initiative turco-libyenne de définir des limites EEZ communes, la Grèce a répondu avec un accord similaire gréco-égyptien, mettant l’Egypte, qui est entre-autres un de ses partenaires économiques principaux, dans le camp de ses alliances. La Grèce, outre son alliance militaire avec la France, l’Egypte, l’Israël et l’Arménie, a noué aussi une alliance avec les Emirats Arabes Unies et l’Arabie Saoudite. Ces accords montrent aussi la difficulté de la Turquie à convaincre dans une course aux alliances dans son rapprochement avec le monde arabe ou islamique, montrant clairement encore une fois que la realpolitik domine là aussi dans les relations économiques. La paix dans la région prend des nuances plus vitales que les couleurs du drapeau ottoman. Deux forces présentes s’affronteront sur ce terrain, les USA et la Russie, le projet français semble plus mitigé, cependant, en période de reconstruction, et donc d’investissement, il sera sans doute le mieux placé. Enfin, hier, le 10/09/2020 a eu lieu la conférence de Med7, qui en Corse, sous l’égide de la France a eu lieu le positionnement des pays méditerranéens (Portugal, Espagne, Malte, France, Italie, Grèce et Chypre), a élargi le camps de ceux qui mettent en garde la Turquie pour revenir au dialogue sous peine de sanctions fortes. Cependant, comme la France, l'Italie et l'Espagne sont exposées économiquement en Turquie, dont le PIB est passé de 240 Mrds en 2015 à 2,3 Trds en 2019.

Reste donc à voir clairement les options « conformes au droit international » suivies à la trace par la Grèce, qui donne l'exemple en matière de comportement diplomatique, de bon sens dans les relations internationales, sachant que certaines parmi elles seront longues et coûteuses, si la Turquie avec ses violations maritimes, aériennes et terrestres, et avec l’utilisation des migrants, continue à pousser la Grèce à maintenir la vigilance militaire à ses frontières. Pour l’instant la Grèce est couverte par la stratégie de dissuasion de ses partenaires, à savoir sanctions économiques européennes, et ripostes armées en cas d’agression ou de non-respect de sa souveraineté. Si les alliés européens s’en lavent les mains, et si elle choisit la voie des tribunaux internationaux la route sera pour la Grèce longue et incertaine.

A.A.